La dernière série de Jean-François Devillers, Tchernobyl (visible en ligne), est un reportage dans le cauchemar. A la manière de Rimbaud « fixant ses vertiges », le photographe continue ainsi le travail de vision commencé avec le cimetière des bateaux de la mer d’Aral en 2007 : déformant, gondolant la réalité dans des hallucinations composites, sculptures en deux dimensions. Chaque image, dans cette nouvelle série, travaille la dialectique du mouvement et de « l’être-figé », faisant de Tchernobyl le lieu déliré d’un temps paradoxal : temps de l’arrêt du temps, instant de la disparition des instants, moment figé dans son tremblement pour l’éternité. Dans l’identique à soi de l’être, une oscillation où se fige la rêverie – et le cauchemar. Vrai lieu.
Sans s’inscrire tout à fait dans la photographie plasticienne, Devillers radicalise ainsi, du point de vue formel, les ouvertures poétiques du travail d’Hockney, mais au profit (à la croisée de l’histoire collective et de l’hallucination d’un seul) d’un reportage dans le traumatisme, inaugurant une forme bien singulière de photojournalisme. Ce faisant, non seulement chaque image montre quelque chose de la catastrophe de 1986, ou en prolonge les effets, mais toutes témoignent d’un art poétique plus proche de la poésie, donc, et de la peinture, que de ce que l’on nomme habituellement la photographie : il ne s’agit en effet pas de retrouver l’événement par capture immédiate de la lumière, mais par construction d’une unité nouvelle n’ayant pas existé, à partir d’une multiplicité d’épreuves – comme le portrait n’imite aucun des visages réels d’une série de cent poses, mais créé, à partir d’eux, un visage vrai, idéel.
Ce n’est pas tout : composée de 26 images, la série embrasse un monde – ce qui signe sa supériorité sur celle, plus linéaire, des bateaux. On trouve de tout, en effet, dans ce cauchemar : de la nature et des bâtiments, des hommes, des objets manufacturés. Devillers y met en place un véritable système, qui renvoie à la fois au système technique, responsable de la catastrophe, et à celui du monde qui tremble et qui explose. Système d’autant plus riche que le contenu des images comme les techniques de composition elles-mêmes (superpositions, collages, flous) varient, sans pour autant remettre en cause l’unité de la série.
A quoi tient-elle, alors ? A la couleur : noir, gris, un peu de jaune. Ce n’est pas simplement la couleur des photos. C’est la couleur de l’âme.
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Le travail de JF est tout simplement magnifique. ll a bien capté toute l’horreur de la ville, la solitude qui en découle, sinistre à souhait.
2 mai 2011. Evidemment, je regarde ces photos après Fukushima. Je vois donc ce « reportage à l’épreuve de l’art » comme un peu moins artificiel, techniquement légitimé, comme un Pompéi fabriqué par les hommes. Le tremblement de terre est palpable.
C’est une autre souffrance que le temps arrêté de la photo, sans nostalgie du passé. Peut être la nostalgie de ce que ne pourra être le futur. Le PC russe a pu donner une icone à son échec.