Poésie et paganisme

PhotoPorté par le rêve de creuser le vers jusqu’à trouver un fondement linguistique à sa poésie, Mallarmé ne reconnut que le Néant, comme il l’annonce à son ami Cazalis dans une lettre de 1866. Affirmation qui peut se paraphraser ainsi : il n’y a aucune nécessité, aucun fondement (aucun Dieu non plus) qui puisse être garant du fait que tel mot doive signifier telle chose : c’est le hasard. Qu’est-ce qui règle les rapports entre un mot et une idée, ou la chose qu’elle représente ? Rien. Le sens est une fiction : il n’existe pas à proprement parler, et pourtant n’est pas nul (il est de l’ordre de l’imaginaire).

Quoiqu’il en soit de cette fiction, il faut dire que le sens des phrases n’est ni tenu par une instance transcendante (un Dieu ou un Logos), ni produit de manière immanente :  il ne dépend que des conventions qui règlent, avec la signification en contexte de chaque mot, les usages multiples de la parole – ce que Wittgenstein appelle des jeux de langage et Lyotard, dans Le Différend, les « genres de discours » – selon ce hasard qu’aucune pensée n’abolira (d’où Le coup de dés) ; contingence qui définit les limites et la possibilité de tout évènement linguistique : immanent plus que transcendant, surgissant dans l’horizontalité d’un jeu plutôt que dans la verticalité d’une maîtrise, le sens n’est d’aucune source, mais relève d’un événement. 

Or, quelle est la situation du poème par rapport à ces « genres de discours » ? Si l’on m’accorde l’hypothèse selon laquelle l’art entretient un rapport éminemment dialectique avec la religion (s’en faisant le héraut, le critique ou le concurrent ; surlignant et déplaçant, ensemble, les lignes du sacré), voire qu’il fait de ce rapport l’objet de son trouble et de sa recherche, on peut comprendre que cette pluralité irréductible des formes du sens (en tant que condition de toute parole qui prétende à une sorte de plénitude) invite le poète à concevoir une pluralité des institutions du sacré, et donc à s’approcher de quelque chose qui ressemble, pour le dire vite, au polythéisme. C’est sans doute la raison pour laquelle une certaine tradition poétique, de Homère aux hétéronymes de Pessoa, Caiero et Reis, en passant par Mallarmé lui-même – qui, dans ses Dieux Antiques, s’essaie à expliquer l’imaginaire mythologique par la nature poétique du langage – entretient une relation étroite avec le paganisme.

Aussi, que l’on considère la poésie comme une éthique païenne (Caiero) ou que l’on fasse du paganisme un symptôme de l’essence poétique de la langue (Mallarmé), le poète concevra toujours moins que le sens de ses vers, qui en est l’enjeu, ait davantage de ressemblance avec le travail mécanique d’un Logos ou d’un Dieu identique à soi qu’au jeu des différents genres de discours mordant peut-être les uns sur les autres et créant quelque chose comme une zone de brouillage, sacrée ?, du sens – idée qui à soi seule justifie de se plonger dans Les techniciens du sacré, l’anthologie de J. Rothenberg parue l’année dernière chez José Corti et qui rappelle les liens d’une certaine modernité avec les conceptions archaïques du récit et du chant, du rite, du sacré : non pas la modernité de la Raison, ou de la Métaphysique, mais la (post-)modernité païenne qui, comme le voulait J.-F. Lyotard, s’abreuve à nouveaux aux sources plurielles du Tragique.

Illustration : Léon Bakst, Nijinski dans L’après-midi d’un faune.

MIR, revue d’anticipation

Dans son numéro 2, MIR, revue d’anticipation, fondée par Christophe Manon et Antoine Dufeu, et éditée par IKKO, publiera, entre autres textes sur la Commune de Paris, le premier chant de mon poème épique Pétrole. Croisant sciences, histoire, poésie contemporaine, philosophie et politique, MIR s’est mise en orbite pour la première fois en juin 2007, avec notamment des textes de Jude Stéfan, Quentin Meillassoux ou Ivar Ch’vavar. 

Le retour des aèdes

Après l’âge glorieux de l’épopée, puis de la chanson de geste, deux formes alliant récit et poésie, le roman est devenu l’expression dominante de la littérature, délaissant au passage la poésie : scission du prosaïque et du lyrique, de la prose et du vers, du populaire et du noble. Au seuil du vingtième siècle, le partage s’est déplacé lorsque les romanciers ont voulu faire du roman une expression à la fois aussi savante et aussi poétique que la poésie elle-même. Des oeuvres hybrides, romans et chants ensemble, des épopées en prose, en somme, sont apparues : Voyage au bout de la nuit, Absalon ! Absalon !

Par réaction, il faut bien vivre, la poésie offrit une critique du roman dont Breton était le fer de lance : système d’arbitraire, le roman n’aurait ni la nécessité ni la densité poétique des proses surréalistes ; en ce sens, un roman (moderne) ne serait rien qu’un poème (moderne) avec en plus du gras, de concessions au lecteur, de chevilles d’intrigue, de description, etc. – et la différence entre Nadja et Le rivage des Syrtes ne serait plus une différence de nature. Que devient la poésie, comme genre littéraire, si le roman peut assumer, comme chair à son squelette, la dimension lyrique et merveilleuse de la littérature ? Si elle n’est qu’un roman sans le gras ? Elle tire à boulets rouges, non plus sur le romanesque, mais sur le poétique lui-même : avec Tel Quel, les oeuvres de Denis Roche (La poésie est inadmissible, d’ailleurs elle n’existe pas) caractérisées par une crispation du poème sur le langage d’une part, et sur le rejet du poétique d’autre part. 

Que lui reste-t-il, à notre pauvre poète, une fois que le chant lui a été retiré ? Une fois que le champ de la poésie contemporaine est moins investie par des praticiens que par des théoriciens du langage qui donnent des exemples ? Il n’y a plus de poète, on peut s’en réjouir, car cette mort de la poésie (réduite de son plein gré, par suicide, à peau de chagrin) aura eu pour conséquence au moins le renouveau, dont je me réjouis en me les pourléchant, d’un genre par où la littérature se reprend : l’épopée en vers, à l’exemple des oeuvres en cours parmi d’autres, grotesques et lyriques ensemble, archaïques en un mot, d’Ivar Ch’vavarCharles-Mézence Briseul ou  Hélène Sanguinetti.

ça décape

A partir du n°39 (été 2009) je m’occuperai, dans la revue Décapage (qui publia six proses du TGV dans son n°35), d’une chronique intitulée L’existence des villes. Il s’agira, en quelques phrases, de brosser le portrait d’une ville, en essayant à chaque fois d’articuler la singularité d’un lieu avec l’idée que l’on peut se faire de ce qu’est une ville, en général. Je commencerai par Edimbourg. Après quoi viendront (tant que JB Gendarme ne me vire pas) Tokyo, Londonderry, New York, Medellin…

Une bonne occasion pour rappeler la sortie imminente (15 avril) du n°38 d’icelle (printemps) à la maquette rajeunie et au sommaire alléchant : outre les chroniques régulières (de G. Polet, V. Delecroix, etc.), un dossier sur les cent ans de la NRF ainsi que des textes de Blas de Roblès ou Gouzou, vous pourrez lire  une excellente nouvelle du non moins excellent ami Schmutz.

Dans les bonnes librairies, 8,50 euros.

Lecture à Libralire

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Si, vendredi 10 avril, vers 19h, vous passez du côté de la librairie Libralire, vous me trouverez en train de lire Ce monde en train ; rentrez donc ! Si vous n’aimez pas les trains, encore moins les livres sur les trains et que cela vous ennuie rien que d’y penser, ce n’est pas une raison, ouvrez quand même la porte : vous pourrez toujours écouter Marie-Louise Audiberti lire L’exilée, ou dialoguer avec Yves Landrein (notre éditeur), voire feuilleter les romans exposés sur les tables. Je n’ai pas le droit de le dire, évidemment, mais – éventuellement, vous boirez un petit coup. 

Rendez-vous, donc, à 19h au 116 rue Saint-Maur, Paris 11° (métro Oberkampf ou Parmentier).

Photo : Florence Trocmé