Dans le numéro 2 de la revue Mir, Christophe Manon publie le début de son Testament. Assez long (200 vers environ), cet incipit déploie une voix dont la simplicité apparente, dont la crudité, même, peut être comprise à la fois comme signe de pureté et de dénuement, dans l’urgence – causée par la proximité de la mort – qui commande au poète d’être direct et sans chichi :
je n’ai ni dieu ni maître
et ne dois rien à personne
souvent j’ai crevé la dalle
et dans ma gamelle souvent
que des pois chiches
Pourtant, cette simplicité – qui n’est, je l’ai dit, qu’apparente – ne laisse pas de troubler : notamment parce qu’il est précisé que le texte de Christophe Manon est une reprise, une adaptation d’un autre Testament. Si bien que derrière ce je d’évidence si franc, qui se livre dans la brutalité d’une expression ne s’embarassant plus des règles d’aucun jeu, se cache en double-fond celui de Villon – et l’on ne sait plus qui parle. Ainsi Manon déconstruit-il le voyeurisme morbide – lequel identifie la voix et l’homme pour trouver dans celle-là des informations sur celui-ci – du lecteur, laissant à sa place le trouble qui le problématise. Ce faisant, s’affirme dans ce dispositif textuel quelque chose comme une solution originale au problème de la littérature contemporaine tel que des oeuvres comme celle de Mallarmé (la disparition élocutoire du poète) ou Pessoa (et son théâtre des hétéronymes) ont pu lui donner forme : celle d’un lyrisme (d’une subjectivation) transpersonnel, détaché des épanchements contingents de l’individu singulier pour trouver dans l’hybridation de la voix les ressources d’un chant impersonnel, universel.
je veux bien reconnaître mes torts
mais ce que j’ai écrit est écritlaissons tomber et parlons d’autre chose
Christophe Manon, Testament, in. revue Mir n°2, éditions ikko, juin 2009.