Phrase, texte, genre # 2

Toute théorie implique une ontologie, fut-elle imaginaire ; et lorsque la philosophie de la littérature propose de classifier, comme depuis Aristote elle essaie de le faire, les textes littéraires en genres et de donner à cette organisation une logique, elle fait de chaque texte l’exemple (d’autant plus inessentiel qu’elle ne pourra jamais le chercher dans les marges), le symptôme où se réalisent l’un des universaux qu’elle postule plus essentiels : car l’objet réel d’une philosophie du genre littéraire est moins le texte et la manière dont il définit lui-même ses valeurs, que les lois, ou les règles (lois de la sémiotique, de la physique de l’histoire ou de la perception du lecteur ; règles de la poétique des textes, de la morale et du bon usage de la grammaire) censées rendre compte de cette distribution. En somme, elle fait comme si les textes n’étaient qu’un fragment quelconque de parole dont le monde commun, par ses mécanismes, aurait (à l’exemple des autres productions de là où ça parle) fixé le sens et son organisation.

Qu’on explique en effet les genres et leur pluralité par les formes d’écriture (vers ou prose, rimées ou non) ou le contenu des sujets traités (nobles ou vulgaires, graves ou légers), par des fonctions du texte (émotive, conative, référentielle) ou la dialectique de l’histoire (archaïque, classique, romantique), par l’horizon d’attente provoqué par des conventions tacites ou par l’effet réel des textes sur le lecteur, on dit toujours qu’il existe quelque chose d’autre, avant le texte et en dehors de lui, de l’histoire, du bon goût ou des lois de la perception, quelque chose qui soit plus essentiel que lui et prétende expliquer pourquoi le texte est comme il est. Voilà qui contrevient à un scepticisme disons épistémologique – ne faudrait-il pas, plutôt, tâcher de ne voir dans une chose que ce qu’elle est, avant de dresser le portraits des dieux qui auront pu le produire ? En l’occurrence, pour telles productions écrites autonomes, bouclées loin du tintamarre des contextes dans la reliure d’un livre : des phrases se succèdent.

Illustration : presses de Gutenberg.