MA CHINE A B S TRAITE

Ma ChineÉcrit à quatre mains et deux claviers avec l’urbaniste et architecte Jérémy Cheval, vous pouvez lire ici un portrait débraillé de Shanghai en sept ritournelles et un avant-propos, pour la revue Ce qui secret – Marc Perrin nous ayant proposé de faire avec d’autres dérailler Deleuze et Guattari. On en a profité pour se promener dans Shanghai, et dans Pound.

Naissance des Paradoxǝs

Créée à l’initiative de Personne et « destinée à la formulation collective de problèmes, c’est-à-dire de solutions », Paradoxǝs, revue shanghaïenne de philosophie, hourra, est née. Espace ‘pataphysique autant que pédagogique (‘patagogique, dirait-on si l’on osait), elle se propose de faire dialoguer, autour de numéros thématiques et de chroniques, et dans la double conviction qu’on est toujours qu’un apprenti philosophe et qu’on est toujours déjà un (apprenti) philosophe, des textes de professionnels de la philosophie, des textes de débutants et des entretiens.

Les articles du premier numéro, dont le thème est « Langage(s) », seront publiés dans le cours de la semaine. Voici le premier : La cosmopolitique des proverbes. Et pour une présentation de la revue, allez ici.

L’existence des villes, 6. Shanghai

Shanghai ne dort pas : on dit qu’en l’an 2 000, plus de 50% des grues de la planète y becquetaient la terre, levant sur le delta du Yangzi Jiang les tours des travailleurs venus des campagnes riantes, des quartiers du centre insalubres, des expatriés. Vu depuis l’autoroute qui la balafre, sur le dos voûté de laquelle se bousculent des bouchons de voitures, de taxis asthmatiques et de bus, on a l’impression d’un espace dépourvu de propriétés, comme s’il venait d’être rasé par des colons hâtifs d’y reconstruire à toute vitesse, y faire prospérer leur église avant que les esprits ne tournent. C’est dans ce non-lieu que se serrent les chapelets d’usines et les totems géométriques, face à face et muets, reliés en grappes par des chemins qu’un plancher d’arbres verts dérobe.

Mais si, prenant prétexte d’une bretelle nous rejoignions le sol pour circuler entre les pattes de l’autoroute, cinquante mètres plus bas sous les platanes, c’est au milieu des magasins de rien du tout et des bouibouis puant la boulette de soja frit que nous nous retrouverions soudain, à trente à l’heure au coeur des années folles, slalomant entre les cabrouets charriant dans la poussière des montagnes de meubles sous l’oeil goguenard des gardiens, avachis dans leur loge pour surveiller à l’intérieur des lanes les épouvantails du linge qui sèche et les machines de sport municipal musclant les autochtones (ragotant leurs vies éclatantes en pyjama). Eussions-nous descendu plus loin, au lieu de l’ancienne concession française, c’eût été le Bund – relecture nouveau riche de l’Angleterre victorienne – et puis Pudong, le rêve des experts en hallucination simple, voyant des scooters sur les routes du ciel et des gratte-ciels dans les rizières.

Souvent les mégapoles ne sont guère que des noms pour agréger des temps et des espaces qui ne se disent rien. Mais par la grâce d’une autoroute, glissant de l’est vers l’ouest sur un parterre de platanes, ils se touchent à Shanghai, et s’échangent leurs hommes. Quant à elle, elle s’en va, sur ses pattes bleues la nuit, sourde aux reliefs mesquins de la topographie, zigzaguer de l’autre côté de la terre, entre les immeubles miroirs où vient se refléter le vide.

Paru dans Décapage n. 44

Shanghai dans le sens des rues

Les promenades photopoétiques commencées l’année dernière avec l’ami Jean-François Devillers continuent (vous pouvez lire en ligne le petit e-book qui contient les seize premières paires de textes et photos en cliquant ici), comme une exploration de Shanghai à quatre pieds et quatre mains – appareil photo, carnet, stylo. Une rue étant donnée, les images et les textes se répondent, se croisent, s’évitent et se commentent. Comme les nuages loin, la fumée qui s’échappe de cette dialectique pleine de trous semble avoir une sorte de sens, des rues.

Shanghai no city

Fog clouds Shanghai's skyscrapersLes amis d’Urbain trop urbain viennent de sortir, après un an de travail, leur no city guide sur Shanghai : présentation iciextrait  et article critique . Dans l’énorme revue (téléchargeable), au milieu des articles critiques, vidéos, portraits littéraires et photographiques, carottes sémiotiques et des promenades transdisciplinaires, vous pourrez lire « Shanghai de jour », dont voici un extrait :

On se lève au milieu d’algues bleues dans le bouquet
des tours mouillées danseuses a-
gitées par de la bruine –

qui brouille les contours fait baver la lumière
silence hors des cellules la couleur
poussée par les visages verts

de bouche en bouche et Lao-Lang
viendra-t-elle aujourd’hui ?
assis sur un rebord de mon

lit vers l’ouest – à regarder
tous ceux qui pénètrent le jour
par les sous-sols –

je ne lèverai pas la tête

fatiguée de visions, soleil m’apparaît sans
les vagues promissions, déplié, que la nuit peut nouer
dans le bleu-gris des rêves, déposées sous la peau étourdie
(– quoi ? y a-t-il encor ce que l’on appelle « les rêves » ? Et « la nuit » ? « soleil », « les noeuds », « la peau ? »), soulagé : je n’entends plus la voix de ceux qui chantaient hier ou pleuraient au milieu des klaxons, se jetaient sous les roues et dont les os craquaient, osselets, récitant leurs articulations anciennes –

ils tenaient à
leur propre plainte au lieu
et poétiquement

or
今天 nous sommes de ce côté-
ci de soleil avec des tours aux pieds de bicyclette 自行车
et des éclats de verre
dans le béton

(quelqu’un a d’autre choses à faire
que tenir lieu des noms

ne dégoberai plus ces balles
même dans le milieu
en riant, pour des ciels vides
j’essaie plutôt de dire ce qu’il y a très vite
et par les quatre tons d’une autoroute en bouche dont mon corps serait l’échangeur – blanches bleues me traversant par les syllabes – en mandarin –
telle qu’une première phrase éclat
sang dans la bouche

à éternuer misérablement
les significations suivantes des sons dans n’importe quel ordre – lambeaux en travers de la langue –

passons)
Lao-Lang est là me regarde
dégoûtée
plantée sur son bassin de mère, avec ses bras noueux qui remuent et ce torse –
老狼 –
les paysans font-ils des enfants dans les champs ? Je contemple son front, ses longs cheveux épais venus des campagnes d’An hui
安徽
pour s’occuper

silencieusement de ma vaisselle (je me tourne soleil –
lorsque tu fixeras des formes
ma voix tiendra les forces
peut-être dis-je

que les mots ne sont pas des centimètres secondes
chinoises et les noms des verbes fatigués
que les bouches enroulent déroulent

autour de moi – je passe)
dans ce concert poursuivant le présent

tâchant d’en arrêter l’idéogramme                                                             et regarder dedans –